Les champignons appartenant au genre Beauveria, qui comprend seulement deux espèces, B. bassiana (Bals.) Vuillemin et B. tenella (Delacr.) Siemasko = B. brongniartii (Saccardo) Petch[1]] sont connus pour leur pathogénicité vis-à-vis des insectes et leur utilisation pratique sous forme de préparations à base de spores a même été préconisée [2, 3]. Quelques études ont été effectuées dans le but de mettre en évidence la production de toxines par ces champignons [4]. Une seule substance toxique chimiquement définie a été isolée; il s'agit de la beauvericine extraite par Hamill et al. [5] d'une souche de B. bassiana (souche NRRL 3352). La beauvericine, qui est un cyclodepsipeptide dont la molécule comporte trois unités d'acide B hydroxyvalérique alternant avec trois unités de N-méthylphénylalanine, présente une nette toxicité pour la crevette [5] et possède de plus un effet cytotoxique vis-à-vis de cellules d'invertébrés cultivées in vitro [6]. Un mélange de cyclodepsipeptides d'un type différent, dénommé 'isarolide' a, d'autre part, été isolé par Briggs [7] d'une souche d'Isaria species, qui s'est révélée ultérieurement être un B. tenella [1] mais ce produit n'a fait l'objet d'aucune recherche concernant sa toxicité éventuelle.Nous avons entrepris, dans le cadre de nos travaux sur la virulence et la pathogénicité spécifique des champignons du genre Beauveria vis-à-vis des insectes ravageurs des cultures et des forêts [8-10], une étude chimique du mycélium de deux souches respectivement de Beauveria tenella (La Minière, souche n^0 6: ATCC Nº 26156, isolée de Melolontha melolontha L.) et de Beauveria bassiana (La Minière, souche nº 32, isolée de Leptinotarsa decemlineata Say) dans le but de mettre en évidence les substances toxiques éventuellement présentes.Les champignons ont été cultivés sur le milieu liquide décrit par Catroux et al.[11] pendant 72 hr. Après ce temps, la culture est centrifugée, puis le mycélium et les blastospores sont extraits par le méthanol. Les phases méthanoliques, concentrées et diluées à l'eau, sont ensuite soumises à une extraction par le chloroforme.Par chromatographie sur alumine de l'extrait chloroformique obtenu à partir de B. tenella, trois produits ont pu être séparés: l'ergostérol et perhydroergostérol, identifiés par leurs constantes physiques et spectrales, et un produit caractérisé par une forte insolubilité dans les solvants organiques. Après purification par cristallisation répétée dans le méthanol, ce dernier présente un point de fusion 261-262° et répond à la formule brute C_{29}H_{45}O_5N_3 . Le spectre IR de ce dérivé dénommé beauvellide (bandes aromatiques à 3060, 3020, 750 et 700 cm-1; CONH à 3380, 3350, 1680, 1645 et 1540 cm-1, ester à 1730 cm-1) est compatible avec la structure d'un cyclodepsipeptide. L'examen du spectre de masse confirme cette hypothèse et permet de lui attribuer la formule 1 (R_1 = CH_2C_6H_5; R_2 = Me).Les ions observés résultent, en effet, de fragmentations semblables à celles décrites pour les isarolides A, 1 [R_1 = CH(Me)_2; R_2 = CH_2C_6H_5 , B, 1 [R1 = CH2C6H5; R2 = CHC2] et C, 1 [R_1 = R_2 = CH_2C_6H_5)[7].Les principaux pics caractéristiques correspondent à des ruptures successives de l'ion linéaire (m/e 487) formé par perte de CO2 à partir de l'ion moléculaire ( M^ = 515 ) (schéma 1). L'ion 2 à m/e 443 montre que l'acide aminé relié par une fonction ester au β -hydroxyacide est l'isoleucine et non la leucine Enfin, les pics à m/e 120 (C_6H_5CH_2CH = NH_2^) m/e 44 (MeCH = NH2), m/e 86 (C3H8CH = NH2) et m/e 139 [Me(CH2)7CH = CH]+ confirment la présence respective de la phénylalanine, de l'alanine, de l'isoleucine et de l'acide β -hydroxyundécanoique.Dans le cas de l'étude du B. bassiana, la chromatographie de l'extrait chloroformique a également permis d'isoler les mêmes stérols que précédemment et une faible quantité d'un mélange de cyclodepsipeptides. Le spectre de masse de ce mélange présente trois pics moléculaires respectivement à M^ = 591 , M^ = 515 et M^ = 543 . A l'ion M^ = 591 correspond un depsipeptide de structure plane identique à celle de l'isarolide C, 1 ( R_1 = R_2 = CH_2C_6H_5 ) dont le spectre montre les principales fragmentations caractéristiques[7]. En ce qui concerne les pics M^ = 515 et M^ = 543 , il peut s'agir pour le premier du beauvellide et pour le deuxième des isarolides A ou B, mais aussi bien de depsipeptides isomères ou de mélanges. En effet, l'impossibilité d'isoler les depsipeptides produits par B. bassiana à l'état pur alliée à la faible intensité ou la superposition de plusieurs ions dans le spectre de masse du mélange rend, à l'heure actuelle, une identification exacte impossible.Au cours de ce travail des depsipeptides de structure très voisine ont été isolés de B. bassiana et de B. tenella. Ces depsipeptides sont également très comparables ou identiques aux isarolides obtenus par Briggs[7] à partir d'une souche de B. tenella différente de la nôtre. Par contre, il apparait que la souche de B. bassiana que nous avons étudiée ne produit pas la beauvericine[5] dans les conditions de culture utilisées.Une étude de l'action du beauvellide sur des cultures de tissus d'invertébrés selon la méthode mise au point pour la beauvericine[6] a été entreprise et un effet cytotoxique a été mis en évidence. Les résultats détaillés de ce travail seront publiés ultérieurement.